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Il y a vingt ans Le pont du Gard a renoué avec la nature

Mettre en valeur un site historique en replaçant la nature au cœur de son programme de conception reste souvent une gageure. Mais c’était encore plus vrai il y a vingt ans...

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En mai dernier, l’association APCE* a réuni une partie de ses adhérents paysagistes concepteurs dans la région de Nîmes (30) et Avignon (84) pour un séminaire sur le thème « Les patrimoines, motifs et projets ». Le but, selon sa présidente, la paysagiste Pascale Hannetel, était de com­prendre « comment ces patrimoines (naturels, architecturaux, urbains et paysagers) sont de possibles leviers de dynamiques d’aménagement et comment ce qui est généralement vécu comme une contrainte peut devenir un moteur de qualité, mais aussi dans quels débats contemporains s’inscrivent les “doctrines” des inter­ventions en site patrimonial et les dialogues avec les services de l’État ».

Riche en patrimoine architectural, la région choisie portait à merveille le thème. Dans le département du Gard, les arènes de Nîmes­ ou la ville fortifiée d’Aigues-Mortes ont fait l’objet de visites, mais une étape importante a été marquée au pont du Gard, près de Remoulins. Entièrement réaménagé il y a vingt ans, le site était incontournable pour traiter le sujet. Un bilan de l’opération a pu être dressé en présence, entre autres, de la paysagiste qui l’a redessiné à l'époque, Laure Quoniam.

Classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1985, le pont du Gard est un aqueduc romain qui franchit le Gardon. Il est partie intégrante d’un ouvrage dont le rôle était d’acheminer à Nîmes l’eau d’une source captée plus au nord, près d’Uzès. L’ensemble mesurait une cinquantaine de kilomètres et si le pont du Gard reste aujourd’hui son vestige le plus connu, la totalité de la construction a représenté pour l’époque­ une merveille de technologie.

Le site a fait l’objet d’une réflexion quant à son aménagement à partir de 1989. Le lieu n’avait jamais­ été pensé pour accueillir un nombre de visiteurs­ devenu trop important. Le stationnement ou encore le fait que les promeneurs déambulaient librement sur l’ensemble du pont, même sur son sommet, avec des conséquences sur la durabilité de l’ouvrage et sur la sécurité, se sont révélés problématiques.

Deux entrées au paysage différent

C’est dans une équipe pluridisciplinaire menée par l’architecte Jean-Paul Viguier que s’est inscrit le travail de Laure Quoniam. Mais le projet n’a pas été un long fleuve tranquille. La première étape a été stoppée en 1992, pour reprendre en 1995. Les travaux n’ont débuté qu’en 1998, pour une inauguration en l’an 2000…

Fille d’archéologue, paysagiste conceptrice ayant au départ suivi des études d’architecture, Laure Quoniam a étudié comment se déplacer autour du site et en protéger les qualités paysagères. « Il y a vingt ans, l’intérêt pour le paysage était moins fort qu’aujourd’hui. Il accompagnait les vestiges romains, mais n’avait pas fait l’objet d’une vraie réflexion, explique la paysagiste conceptrice­. Il fallait “faire propre”. Bien qu’il comporte quelques pépites, comme ce jardin botanique dans lequel­ un passionné a planté nombr­e d’espèces de pins, le site se heurte à des obstacles. En particulier­, rendre le site piéton est à l’époque mal perçu. »

Dans un contexte difficile – articles de presse assassins, levées de boucliers des commerçants ayant pignon sur rue... –, le projet est arrêté en 1992. Le redémarrage en 1995 se fait avec un maître­ d’ouvrage différent. Et surtout, grande différence, le périmètre d’étude est réduit à 165 ha, contre 350 au départ. Une protection absolue du site est requise : aucune nouvelle construction ne doit être visible du pont.

Deux entrées sont possibles pour accéder à chacune des rives du Gardon. De chaque côté, un parking­ végétalisé, constitué de poches arborées, permet comme demandé d’assurer un stationnement non visible du pont.

Rive droite, sur 10 000 m2, des murs et des ter­rasses bitumées ou bétonnées sont supprimés, des haies ont été taillées, des arbres ont été arrachés dans une peupleraie, des mûriers, vestiges de la cul­ture des vers à soie, ont aussi été coupés, le tout pour dégager la vue sur le pont. Le parking de 400 places, situé dans la zone humide du lit de la rivière et donc accompagné d’une végétation adaptée (peupliers, frênes…) et un bâtiment pour l’accueil de manifestations professionnelles encastré dans une ancienne carrière, en constituent les principaux aménagements.

Côté rive gauche, le parking, plus grand (il compte 900 places) et traité avec une végétation de gar­rigue car il est situé en zone sèche, plus haut que la rivière (avec du chêne vert, du micocoulier…), mène d’abord à un musée qui retrace l’histoire du site. Puis un cheminement en béton désactivé chemine vers le pont pro­prement dit.

L’aménagement soulève encore des questions

La nature est désormais au cœur de l’aména­gement, avec, par exemple, rive gauche et à l’aplomb du pont, un « parcours de garrigue » qui explique comment cette végétation si particulière de la région­ a été exploitée par les humains au cours des siècles (lire Le Lien horticole n° 1088 de septembre, page 62). L’arboretum n’est pas en reste : un recensement des espèces présentes a été réalisé et le lieu est apprécié. Mais nombre de ceux qui ont suivi le réaménagement de ce site classé s’interrogent encore aujourd’hui sur l’acceptabilité de de ce travail qui cherche à préserver la nature. Avec, en particulier, des points qui restent mal perçus dans notre pays, surtout le fait de rendre le site accessible aux seuls piétons.

Vingt ans plus tard, Laure Quoniam souligne que l’on pourrait retravailler certaines zones comme cette aire de pique-nique sur la rive gauche. Elle aimerait une meilleure gestion du jardin bota­nique, en amont du pont. Mais elle souligne combien le fait d’avoir mené jusqu’au bout un projet aussi sensible au départ, qui a obtenu en 2004 le label Grand Site de France, est important à ses yeux. D’autres détails sont notés par les visiteurs, comme­ la présence de projecteurs peu esthé­tiques quasiment jusque dans le lit du Gardon. Mais le gestionnaire du site rappelle que l’une des priorités doit être de sécuriser un lieu destiné à accueillir des foules importantes, en particulier lors de spectacles proposés en soirée durant l’été.

Globalement, la gestion raisonnée des stationnements et la canalisation des visiteurs sur des allées dédiées ont permis de préserver la végétation typique du site.

Pascal Fayolle

*APCE : Association des paysagistes-conseils de l’État.

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